Introduction — Une force montante dans la lice
Le Béhourd, ce sport de combat en armure médiévale, impressionne par sa brutalité autant que par sa stratégie. Longtemps considéré comme un univers masculin, il est aujourd’hui traversé par une vague nouvelle : celle des femmes, qui prennent peu à peu leur place dans la lice.
À travers les témoignages de Jessie Lopez, jeune combattante pleine d’enthousiasme, et Louise Hullin, capitaine de l’équipe de France féminine, on découvre un monde fait de sueur, de passion et de solidarité. Deux voix, deux parcours, une même volonté : faire avancer le Béhourd féminin.
Le combat dans la peau : parcours et ressentis
“J’ai envie de kiffer !” lance Jessie Lopez avec un grand sourire, quand on lui demande ce qu’elle ressent en entrant dans la lice. À 25 ans, elle pratique le béhourd depuis deux ans à Grenoble, avec les Sangliers d’Isar et l’équipe féminine des Griffonnes d’Auvergne. Comme beaucoup, elle confesse avoir le trac avant chaque tournoi :
“Honnêtement, j’ai envie de me faire pipi dessus ! Et comme on ne s’entraîne pas souvent entre féminines, j’ai toujours un peu d’appréhension.”
Mais tout change une fois l’armure enfilée :
“Dès que je mets un pied dans l’armure, ça y est, y a plus rien. Juste le vide. Et dans la lice, c’est que du plaisir.”
Même constat chez Louise Hullin, combattante expérimentée de 31 ans et capitaine des Lys de France :
“Malgré les années, on a toujours les chocottes. Le cœur qui bat à fond, c’est le stress, mais c’est une bonne chose. C’est l’adrénaline qui monte.”
Pour elle, la clef pendant le combat, c’est la lucidité :
“Je m’efforce de rester détendue au milieu du chaos. C’est comme ça qu’on reste focus, qu’on travaille.”
Préparation, rigueur et résilience
Derrière les coups, les cris et les chocs métalliques, le Béhourd est un sport de discipline et de préparation, où rien n’est laissé au hasard. Et pour performer dans la lice, il faut d’abord construire son corps… et son mental.
“À l’approche d’une compétition, je m’entraîne 5 à 6 fois par semaine. Je fais beaucoup de muscu, de conditionnement, des exercices proches de ceux du rugby : mobilité, agilité, force.” nous explique Louise
Mais ce n’est pas suffisant sans la dimension martiale :
“Aller à la salle, c’est bien, mais si tu ne fais pas de Béhourd à côté, ça ne sert à rien. En début d’année, je bâtis mon corps, et plus on s’approche des tournois, plus je passe en mode Béhourd pur.”
Jessie, elle, gère ses faiblesses au jour le jour, avec une approche plus instinctive :
“Je fais pas mal de muscu, avec un focus particulier sur les frappes, parce que c’est là que je me sens encore un peu juste. J’essaie de gagner en puissance, d’avoir plus d’impact, d’aller vraiment dans le dur, dans la chair. C’est un travail quasi quotidien, et j’ajoute deux entraînements de béhourd par semaine quand c’est possible.”
Côté mental, les stratégies divergent.
Jessie s’appuie sur la musique pour se mettre dans l’ambiance :
“Juste avant d’arriver, j’écoute beaucoup de métal pour me mettre dans l’ambiance, bien me chauffer. Et je suis loin d’être la seule à faire ça !”
Louise, elle, travaille la visualisation avec minutie :
“Je regarde des heures de combats, français, internationaux… Je les analyse, je visualise ce que je veux faire. Je me projette, je m’imagine dans la lice. C’est comme si je préparais mon corps à exécuter ces mouvements-là.”
Et quand les combats s’enchaînent sur une journée de tournoi, c’est la préparation de fond qui fait toute la différence :
“On ne se fait pas une condition physique la veille, souligne Louise. Toute l’année, on bosse pour que le jour J paraisse plus simple. Entraînement dur, guerre facile.”
Ce qu’il faut pour faire du béhourd (et y rester)
Le béhourd n’est pas un sport comme les autres. Il demande un mental solide, un engagement total, et une bonne dose d’amour du combat. Mais alors, qu’est-ce qui fait la différence entre une personne qui va s’épanouir dans la lice et une autre qui renoncera ?
Pour Jessie, tout commence par la passion :
“Il faut savoir pourquoi on est là. Être passionné, avant tout. Et surtout, ne pas avoir peur de prendre des coups. C’est vrai pour tous les combattants, mais il y en a encore qui hésitent un peu. Il faut aussi de la rigueur. Avec ces trois qualités, on part déjà sur de bonnes bases.”
Louise, insiste sur la lucidité et la remise en question constante :
“La qualité numéro un d’une combattante, c’est de savoir exactement où elle en est. Être lucide sur ce qu’on sait faire et sur ce qu’on ne sait pas faire. Moi, je ne me mets pas en danger sur un truc que je ne maîtrise pas. Je me conforte dans mes points forts, parce que je sais où j’en suis.”
Elle encourage d’ailleurs à être honnête avec soi-même, surtout après les compétitions :
“Faut regarder ses combats, ne pas avoir peur de se critiquer. Mais aussi savoir se féliciter quand on fait les choses bien. Cette honnêteté avec soi-même, c’est primordial si on veut progresser.”
Des conseils pour débuter ?
Les deux combattantes sont unanimes : ne pas se lancer seul·e.
“Faut se rapprocher d’un club, conseille Louise. On n’arrive pas dans le béhourd comme une fleur. On discute, on teste, on fait quelques entraînements… Et surtout, on n’achète pas de matos tout de suite. C’est très spécifique, faut que ce soit carré.”
Elle met aussi en garde contre une fausse idée : faire du sport à côté ne garantit pas une adaptation facile :
“Même si tu cours des marathons, ça ne veut pas dire que tu vas performer en béhourd. C’est un sport avec ses propres exigences : un vrai engagement, aussi bien physique que mental, martial et musculaire. C’est très complet, et ça demande un peu de temps pour s’y adapter.
Et si je parle de préparation, ce n’est pas pour freiner celles qui veulent se lancer — bien au contraire ! Chacune peut (et doit) y aller dès qu’elle en a envie. Pas besoin d’être une machine pour commencer, il faut juste y aller avec envie… et un peu d’écoute de soi.”
Jessie, résume à sa manière :
“Fonce. Ne te prends pas trop la tête. Tu testes, tu prends deux ou trois coups, tu kiffes… et tu continues. Et voilà, c’est parti !”
L’importance du collectif : clubs, coéquipiers et public
Dans un sport aussi physique et exigeant que le Béhourd, le soutien extérieur fait toute la différence. Que ce soit celui du club, des coéquipier·es ou du public, il renforce la combativité… et la confiance.
Pour Louise, l’appui de son club à Angoulême est fondamental.
“Ça fait 5 ans que les gars travaillent avec nous, qu’ils nous entraînent, qu’ils nous encouragent, qu’ils croient en nous. Et c’est grâce à ça qu’on performe aujourd’hui.”
Elle souligne que ce soutien n’a pas toujours été une évidence en france :
“Des gars qui savent bosser avec des féminines, ça n’a pas toujours été le cas. Mais ces dernières années, ça change. On sent une vraie progression, une prise de conscience. Et on remercie vraiment ceux qui font cet effort-là.”
Un bon club, selon elle, c’est la clé pour aller loin :
“Quand on a une famille derrière nous, on peut aller très, très loin.”
Et le public, alors ?
Les deux combattantes sont d’accord : oui, il a un impact réel sur la performance.
“C’est dur moralement d’entrer dans la lice et de voir que le public commence à se barrer”, explique Louise. “Même si on est focus, tout ce qu’il y a autour joue sur notre mood, notre énergie.”
Quand les gradins sont pleins, que les gens crient, vibrent et encouragent, ça se sent jusque dans l’armure.
“On est toujours contentes quand le public est là. Ça nous booste à fond.”
Et parfois, l’énergie passe aussi par un simple cri… ou une danse.
“Avant d’entrer en lice, je crie, et parfois je danse !”, s’amuse Jessie. “Ça détend tout le monde, et ça fait rire le public.”

Des moments inoubliables : le tournoi Way of Honor
Certaines victoires ont le goût du combat, d’autres ont le goût de la renaissance. Pour Louise Hullin, le Way of Honor, en Allemagne, restera un tournant historique dans sa carrière et pour toute l’équipe de France féminine.
“C’était, pour les féminines, la plus grosse compétition qu’on ait eue depuis dix ans”, raconte-t-elle. “Il y avait une dizaine d’équipes féminines, toutes avec un très haut niveau. Les Anglaises, les Finlandaises, les Américaines… C’était une barre très haute.”
Ce tournoi n’était pas seulement une épreuve sportive. Il marquait aussi le retour du Béhourd féminin français sur la scène internationale, après des années de difficultés.
“Après le COVID, le Béhourd féminin en France a failli disparaître. Il n'y avait plus aucune combattante. Relancer tout ça a été un enfer… Et pourtant, non seulement on a survécu, mais on est remontées tout en haut.”
Et c’est peu dire : les Lys de France ont remporté deux médailles d’or, en 5v5 et en 12v12.
Un exploit historique, porté par la persévérance, l’entraînement et une solidarité inébranlable.
“C’était un très grand moment. Toutes ces années à ne rien lâcher, à se battre, à progresser… ça valait bien une médaille d’or.”
Une fierté pour tout le collectif… et un message fort envoyé à la scène européenne : les combattantes françaises sont bel et bien là.

Changer le regard sur le Béhourd féminin
Trop souvent, le Béhourd est encore vu comme une sorte de “spectacle médiéval”, un show de brutes en armure. Mais pour les combattantes, cette image est à mille lieues de la réalité. Le Béhourd est un vrai sport. Complexe. Stratégique. Exigeant.
Louise tient à remettre les choses à leur place :
“Le Béhourd, ce n’est pas juste un spectacle. C’est un sport, avec toutes les particularités des sports de combat : un système de rounds, des arbitres, des stratégies d’équipe…”
Elle insiste sur le rôle clé de la pédagogie pour que le public comprenne ce qui se passe dans la lice :
“Quand le speaker prend le temps d’expliquer les règles, les gens sont tout de suite plus investis. Ils voient les dynamiques, ils comprennent les enjeux. Une équipe amorce une stratégie, l’autre la contre… C’est tout un jeu, comme dans un match de rugby ou d’escrime.”
Ce besoin de reconnaissance est encore plus fort quand on est une femme dans ce milieu. Car il faut constamment prouver que l’on est légitime. Que ce n’est ni de la reconstitution, ni du folklore, mais bel et bien du sport de haut niveau.
Et ce regard est en train d’évoluer, petit à petit.
Grâce à des performances comme celles des Lys de France, grâce au travail des clubs, grâce aussi à la parole des combattantes qui prennent leur place dans l’espace public et médiatique.
Et demain ? L’avenir du Béhourd féminin
À entendre Jessie et Louise, une chose est sûre : le béhourd féminin a de beaux jours devant lui. Et ce n’est pas juste une intuition, c’est une réalité qu’elles constatent à chaque tournoi, à chaque entraînement, dans chaque nouveau visage croisé en lice.
“Franchement, ça s’annonce très très bien,” affirme Louise. “Chaque année, il y a de plus en plus de monde, de plus en plus de public, et surtout de plus en plus de femmes qui osent se lancer.”
Il y a quelques années à peine, les combattantes se comptaient sur les doigts d’une main. Aujourd’hui, elles forment des équipes, elles gagnent des tournois, elles écrivent l’histoire.
“On a pu faire quatre équipes de trois, et même un 5v5 !” se réjouit-elle. “Et le niveau continue de monter, chez les filles comme chez les gars. On sent une vraie dynamique de progression.”
Jessie, elle, rêve d’un avenir très concret :
“Personnellement, j’aimerais déjà pouvoir avoir ma propre armure. Sans ça, c’est compliqué de s’entraîner sérieusement et régulièrement. Mais au-delà de ça, j’ai envie de voir encore plus de combats, encore plus de féminines en lice… et, pourquoi pas un jour, un tournoi entièrement dédié aux femmes. Ce serait génial.”
Le Béhourd féminin n’est plus une exception, ni une curiosité. C’est un mouvement. Une évolution naturelle d’un sport qui s’ouvre, qui se professionnalise, et qui attire chaque jour de nouvelles combattantes prêtes à en découdre.
Avec des figures comme Jessie et Louise, et le soutien croissant des clubs, du public et des organisateurs, les femmes en lice ne sont plus des invitées : elles en sont les piliers.
Et la suite ne fait que commencer.
